Le visage du monde


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Parce que les contours du monde changent sans cesse et que s’affinent nos connaissances sur les transformations subies par le globe, il est de temps en temps impératif de refaire le portrait de la Terre. En ce début du XXIe siècle, tel est l’objectif principal et l’ambition de cet Atlas du Monde diplomatique.

Depuis le XVIe siècle, on appelle atlas ces recueils de cartes, de planches et de graphiques qui « rendent visibles » les découvertes des explorateurs, le profil des continents, l’emprise des puissances et l’extension des empires. Discipline indispensable au stratège et au conquérant, la géographie est aussi l’art de dévoiler le monde, d’en révéler les inapparentes dynamiques et de mettre au jour les transformations occultées. Comme une sorte de modèle réduit – sur deux dimensions –, un atlas permet, en particulier, de « lire » la planète, de percevoir sur l’échiquier du monde, d’un simple coup d’œil, les rapports de force politiques ou militaires, les rivalités de frontières, les ambitions territoriales, les enjeux économiques, les expansions linguistiques ou religieuses, la localisation des richesses ou les déplacements des populations.

Si cela a toujours été nécessaire, il est clair que, depuis 1989, un nouvel atlas du monde contemporain était devenu indispensable pour pouvoir se situer, se repérer dans un espace géopolitique de fond en comble bouleversé. Car il faut bien prendre conscience que la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, et la disparition de l’Union soviétique, en décembre 1991, ont entraîné des changements semblables à ceux provoqués par la Grande Guerre (1914-1918) et par la seconde guerre mondiale (1939-1945), et nous ont fait entrer dans une ère historique nouvelle.

En quelques années, nous avons changé de monde. Fin de l’ère industrielle. Fin de l’après-guerre et de la guerre froide. Informatisation généralisée, irruption d’Internet. Epuisement des communismes. Crise des socialismes. Renaissance des nationalismes. Conflits ethniques et religieux. Migrations de masse. Pandémies nouvelles. Passions écologiques. Emergence des organisations non gouvernementales (ONG). Rouleau compresseur de la mondialisation libérale. Beaucoup de nos références antérieures sont devenues obsolètes. Des repères politiques ou sociologiques solides pendant deux siècles se sont effondrés. La boîte à outils conceptuels dont nous nous étions longtemps servis pour comprendre et expliquer l’évolution des choses s’est soudain révélée inadaptée, dépourvue des nouveaux instruments capables de mesurer les changements en cours.

 Une nouvelle ère impériale

Quels sont ces principaux changements ? Il y a, d’abord, ceux que provoque la mondialisation. A commencer par la prééminence qu’a désormais l’économique sur le politique. Et qui se traduit par une influence démesurée, sur la vie des Etats, d’institutions comme le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui dictent les politiques économiques et commerciales d’une grande partie des pays de la Terre, quelle que soit l’orientation de leurs gouvernants. Dans beaucoup de domaines, cela a aggravé les inégalités de toutes sortes. Les riches (Etats et individus) sont devenus plus riches, les pauvres plus pauvres.

La mondialisation libérale constitue la caractéristique principale du monde contemporain. Cet atlas montre comment sa dynamique, son influence, son poids transforment maints domaines des sociétés d’aujourd’hui. Avec des conséquences capitales, comme : la perte d’autonomie des gouvernements, la dégradation du rôle des partis, la puissance des marchés financiers, l’activisme des entreprises géantes, l’essor des réseaux mafieux, la prolifération des paradis fiscaux, l’endettement des pays du Sud, le saccage de l’environnement…

Au plan géopolitique, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, une hyperpuissance unique – les Etats-Unis – domine le monde. Issues du désastre de la seconde guerre mondiale, les Nations unies se trouvent désormais marginalisées ou instrumentalisées par Washington. L’Amérique dirige, avec l’autorité d’un chef d’orchestre sourcilleux, le grand concert des nations. Ses principaux alliés économiques (Japon, Allemagne) et militaires (Royaume-Uni, France) se retrouvent de fait vassalisés. Les autres puissances, en déclin (Russie) ou émergentes (Chine, Inde), semblent incapables de freiner ou de modérer l’irrésistible aspiration des Etats-Unis à s’imposer, dans tous les domaines, sur la scène internationale. Les odieux attentats du 11 septembre 2001 ont fourni le prétexte à une « guerre mondiale contre le terrorisme » qui renforce la suprématie étatsunienne. Le monde est entré dans une nouvelle ère impériale pleine d’incertitudes et de menaces.

Pour bien se repérer dans le labyrinthe inquiétant de cette ère contemporaine, L’Atlas du Monde diplomatique constitue l’indispensable guide. Attentif aux problèmes humains, aux grands thèmes sociaux et aux principaux enjeux économiques, écologiques et culturels, il se veut un ouvrage de référence complet, une boussole qui oriente, un pilote qui dessille les yeux. Et ouvre le chemin…

Ignacio Ramonet

Directeur du Monde diplomatique de 1990 à 2008.


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