La fantaisie et la réalité dans L’Âge d’Or


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Le terme « fantaisie » peut nous conduire à des arguments séculaires qui ont rempli toutes les époques de la littérature, au moins depuis le Moyen-Âge et la Renaissance. Ici, nous voulons juste souligner, parmi ces querelles, l'identité de « fantaisie » avec le terme « imagination », inévitablement liées. Pour les romantiques, par exemple (Wordsworth, Coleridge) l’imagination a été reconnue comme la faculté supérieure, la transsubstantiation de l’expérience, alors que la fantaisie est une sorte d'assistant de l'imagination. José Martí ressentait de sérieuses réserves devant cette glorification romantique, qu’il reconnaissait, mais estimant « qu’il faut entretenir l’imagination car dans la solitude on  tombe malade et on donne des dimensions gigantesques » (Œuvres Complètes, XII:337), parce qu’utiliser « l'imagination pour des inventions » est « un travail vain et censurable », car elle devrait seulement être utilisée « pour composer les parties d’un travail, afin qu'elles ne choquent pas, mais qu’elles aident à briller, ou pour que le réel se voit mieux dans un symbole » (OC, VII:362), c'est-à-dire, dans sa composition et dans la création des symboles. C’est pour cette raison qu’il s'est plaint « qu’il y a beaucoup de vérité inconnue [à découvrir] pour donner notre temps à l'étude du factieux » (OC, XXIII:233). Ainsi, « le factieux », l’imaginatif, se convertissait pratiquement en synonyme de « menteur ».

Avec ces critères, comment s’affronter José Martí à la fantaisie imaginative quand il écrit sa revue pour les enfants et les jeunes ? Dans le rejet de l’imaginatif il y a une forte charge éthique personnelle, mais Martí est également le fils de son époque et de la reconnaissance des progrès scientifiques et technologiques qui provoquent chez les modernistes la double position de l’éblouissement ou du rejet, cherchant le non scientifique, le mystérieux, la magique… José Martí n'accepte pas cette seconde position et s’affilie, comme nous l'avons vu, à la plus positive (ou positiviste, si l’on veut, mais sans entrer dans le philosophique). À priori, cette position théorique aurait pu produire des conséquences désastreuses en termes d'écriture pour les enfants, mais, en ce sens, Martí se sauve avec l’utilisation des mots, ce qui transforme ce qui pourrait pu être la plus simple des chroniques en une aventure pleine de mystère et de fantaisie. En lisant « L'histoire de la cuillère et de la fourchette », un processus industriel se transforme en quelque chose comme une projection cosmique. Au sujet de la magie, il est plus démystificateur, car il dit explicitement à ses lecteurs que « nous allons parler de tout ce qui est fait dans les ateliers, où ont lieu les choses les plus rares et les plus intéressantes que dans les contes de magie et qui sont de la véritable magie, plus belle que l’autre ».

Bien que la présentation de la revue il promet seulement « des contes du rire », il finit par inclure deux contes de magie, pris du Français Laboulaye, qui étaient idéaux pour certaines de ses fins (et faisant même refléter des aspects autobiographiques), mais où la présence de la magie était inévitable. Là il y a de la magie, mais dès le début il spécifie ces pouvoirs non naturels qui ne peuvent pas tout faire, car le pic, la pelle ou la noix dépendent du Petit Poucet et Loppi sauve d’une situation critique pour elle (ou lui) à la puissante magicienne convertie en crevette La fantaisie enrichit la réalité, l’embellit, lui donne une couleur et une saveur supplémentaire et Martí la sent plus nécessaire dans nos terres latines, mais sachant qu'elle ne supplantait jamais la réalité. Et là entre l'imagination comme un élément littéraire de poids.

L’autre conte « étranger » de la revue, Los dos ruiseñores (Les deux rossignols), n’est pas un conte de magie, même si Ruiseñor parle humainement et que la mort soit présentée, incarnée. C'est de la fantaisie, mais une fantaisie dans la position ambiguë pouvant être surnaturelle ou non, mais il n'y a une indécision à ce sujet. L'oiseau et la mort peuvent être des symboles, des images poétiques et, comme telles, elles sont acceptéss. En plus que les animaux parlent, c’est une convention parfaitement acceptée par tous depuis toujours. José Martí tente d'attraper le monde infantile dans ses essences et tombe dans l'animisme infantile. Les poupées ont une vie propre et les livres jouissent d’une surprenante animation. Cela le amène aux distorsions imaginatives de la réalité qui sont une touche expressionniste dans un grand nombre des textes de L’Âge d'Or.

Cette façon d'aborder le point de vue d'enfant - qui se manifeste non seulement dans ses contes ayant des sujets modernes - sauve les textes de L’Âge d'Or de la superficialité d'une littérature strictement réaliste, peu imaginative, car Martí ne tombe pas dans le piège de déplacer sa possibilité imaginative à celle d’un enfant, car, comme on l’a dit, l'imagination dépend de l'expérience, et l’expérience de l’enfant va s’accumuler et augmenter graduellement avec des particularités profondes qui le distinguent de l'expérience des adultes. L’imagination de l'enfant est moins quantitativement et qualitative que celle de l'adulte, bien que sa spontanéité soit majeure pour manifester et profiter de ses fantaisies.

De façon moderne, on entend que le rêve entre dans le plan de la réalité au moyen de la littérature, ce qui oblige l'enfant à comparer la réalité avec la fiction et, par conséquent, cela réveille la conscience critique qui favorise la maturité. Cette comparaison de la présentation littéraire des objets avec les objets eux-mêmes conduit à la découverte de nouvelles nuances et à détruire les représentations stéréotypées de la réalité. Ainsi, le contraste entre le monde réel et d'autres possibles, même s'ils sont seulement de fiction, provoque le développement d'un esprit réfléchi et critique de l'enfant, qui, comme nous le savons, était le plus grand engagement de José Martí. Nous voyons donc comment, presque intuitivement, Martí a surmonté un cadre théorique positiviste dans le souci d'une approche plus sincère à l'âme infantile, pour faire de la fantaisie le juste ornement d'une offre fabuleuse.

 


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