Martí et la musique française


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Emma Calvé. Opéra Carmen

Pour José Martí, qui considérait la musique comme « le plus beau des arts », ses contacts avec la culture française ont été très importants. Même sa façon d'écrire sur la musique a été influencée essentiellement par cela. Le XIXe siècle en France, avec le triomphe du romantisme, a été la scène d'intenses et nouvelles relations entre la musique et la littérature, mettant l'accent sur le culte de l'émotion. Au début du mouvement Jean-Jacques Rousseau était un écrivain, mais aussi un musicien de renom... Madame de Staël disait, par exemple, « lire Le pêcheur de Goethe c’est lire la musique plutôt que l'entendre ». C’est ainsi que se forme un langage de synesthésie, où les sons et les graphies admettent diverses relations. En France, beaucoup d'écrivains ont des relations nombreuses et variées avec la musique : Chateaubriand, Musset, Alfred de Vigny, Balzac, Stendhal… Et surtout Théophile Gautier (1811-1872), poète, romancier et critique. Chez ce dernier, Martí admire particulièrement  son élégance, son « langage des couleurs » et il valorise « l'art grec de Théophile Gautier et de Baudelaire ». C'est une époque où l'impressionnisme pictural cherchait ses équivalences musicales et littéraires et on parle des célèbres « correspondances », déjà mentionnées par le poète français Charles Baudelaire, sur lesquelles Martí avait parlé en 1881. C’est pour cette raison que dans un bon nombre de ses écrits musicaux, plutôt que des critiques ou des chroniques, il légitime la poésie en prose.

Dans ses Cuadernos de apuntes, écrits probablement en novembre 1879, nous trouvons ses impressions sur deux représentations d'opéras français auxquelles il a assisté à Madrid : L’Africaine de l'Allemand Jakob Meyerbeer (chanté en italien) et Faust du Français Charles Gounod. Sur le premier, il annote : « Merveilleuse, merveilleuse musique du quatrième acte. – elle n’est pas bien estimée car elle ne peut pas être facilement interprétée. Il faut avoir une grande âme pour comprendre cette immense âme [ …] N’est-ce pas le 4e  acte de L’Africaine le morceau de musique le plus magnifique et parfait que l’on connaisse? » Martí  valorise le Faust de Gonoud de façon un peu ésotérique en prenant à Meyerbeer comme référence: « La musique du sujet est inspirée exclusivement dans les harmonies de l’âme errante  contrairement à celle de Meyerbeer arrachée à la nature extérieure, avec laquelle il imprègne et ajuste l'émotion intérieure.»

L’opéra français est bien représenté, en plus de Meyerbeer et de Gounod, par des mentions de Thomas, Massenet et Bizet. La connaissance de ce dernier est centrée sur son célèbre opéra Carmen ; sur celui-ci il y a une anecdote instructive. María Mantilla, la filleule de Martí, narre que lui, préoccupé quant à sa formation culturelle (et humaine), l’a emmené pour la première fois à l’opéra quand elle était à peine une adolescente de 12 ans : « Ils représentaient l'opéra Carmen, le rôle principale était interprété par la grande chanteuse française Calvé, une des meilleures Carmen dont on se souvient ». Soixante ans plus tard, se souvenant de ce moment, María conserve vivante l'impression que cela lui a produit, « et comment Martí lui expliquait tout l'opéra, car il connaissait très bien l'argument et les passages musicaux ». Elle se rappelait textuellement ses éloges envers Emma Calvé, « une artiste d’un grand talent et d’une grande grâce ».

Il est surprenant que Martí ait choisi justement cette œuvre pour l’initiation lyrique de l'adolescente parmi les vingt titres que le Metropolitan avait à l’affiche cette saison. Carmen était alors considéré comme assez audacieux et Calvé, une femme jeune et sensuelle, accentuait le réalisme du personnage, qui est devenu un signe de la libération sexuelle des femmes. La préférence de Martí  pour cet opéra est due à son attraction maintes fois exprimée pour le Gitan hispanique, par ses rythmes et ses danses, accentuée ici par le fait que lors de la première apparition,  l’artiste principale chante une habanera. Il y a aussi ceux qu’ont souligné le poids du nom du personnage principal dans la vie de Martí, car sa femme et sa sœur s’appelaient Carmen et c’était aussi celui de la mère de María, une femme d'une grande importance dans les dernières années du héros.

Sa postérieure vie agitée new-yorkaise et ses responsabilités ne lui ont pas permis d’assister à de nombreux concerts et opéras. Mais parfois il trouvait un peu de temps pour assister à certains, comme le concert symphonique qui a eu lieu à New York à la fin du mois de mai 1882, où il nous parle de l’opéra Les Troyens  ; du Français Hector Berlioz, « qui dans la musique eut le feu shakespearien, les notes déchirantes avec lesquelles la malheureuse et très jolie  Cassandre annonce aux Troyens que dans ce cheval, auquel on œuvre les portes de la ville et dont surgissent des lointains échos guerriers de l’énorme ventre,  se cachent les envahisseurs grecs. » Et on voit dans cette musique de Berlioz s'élever au ciel, dans sa large  tunique blanche, les bras de Cassandre ; et  comment tremble Énée quand elle conte aux Troyens la mort de Laocoon quand  deux serpents monstrueux s’élancent sur le prêtre, le dévorant à nos yeux. »

Comme nous pouvons le voir, dans la haute considération que José Martí a eue pour la musique, l’art français avait une place de choix.


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